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Peur du vide : Randonnée initiatique au-dessus de l’abîme

Dernière mise à jour : 19 oct. 2023

Je ne sais pas encore si je peux dire que je n’ai plus peur du vide, mais en tout cas, ce jour du 11 octobre 2023, je viens de relever un véritable challenge.

J’ai traversé la passerelle à Farinet, dans le canton du Valais en Suisse, un pont suspendu de 92 m de long au-dessus des gorges de la Salentze 136 m plus bas.


une passerelle suspendu entre deux montagnes au-dessus de gorges profondes

Il est midi, mardi 10 octobre 2023. Je mange tranquillement sur ma terrasse avec mon fils Mathieu, quand je lui propose : « Ça te dirait d’aller faire un tour aux bains de Saillon et de randonner un peu dans le coin ? ».

Environ 15 minutes après sa réponse positive, nous embarquons.

J’adore les expéditions non prévues qui se décident dans l’instant !

Nous en avons pour 2 heures, en passant par la fabuleuse route du col des Montets à Chamonix, de celui de la Forclaz en Suisse, avant de plonger sur Martigny en Valais. Il fait grand soleil, et exceptionnellement chaud pour cette période de l’année, puisque le thermomètre affiche 27 degrés.

Arrivés sur place, on réserve une chambre à l’hôtel des bains et hop le bonheur dans de l’eau chaude avec vue imprenable sur les montagnes aux alentours.

Et dans les alentours, justement, il y a cette passerelle... Suspendue au-dessus de gorges abruptes, elle me fait frissonner et en même temps m’attire étrangement. Commence à poindre en moi l’envie d’aller la traverser, alors que je sais que j’ai peur du vide... Je ressens comme un appel... Et si c’était le bon moment pour me confronter à cette peur ?

J’en parle à Mathieu qui est absolument partant pour m’accompagner dans cette aventure.

Je ne sais pas encore dans quoi je viens de m’engager.


Traverser la peur du vide

Mercredi 11 octobre 2023. Après un bon petit déjeuner, nous commençons la montée vers la passerelle. Nous grimpons à travers les vignes en suivant un sentier jalonné de sublimes vitraux, véritable chemin de réflexion sur la vie : l’initiation commence.


un vitrail de couleur bleue dans les vignes de Saillon, en Valais,devant un paysage de montagne

1h et 500m de dénivelé plus tard, nous voici arrivés à l’entrée du pont suspendu.

D’emblée je trouve qu’il est beaucoup plus impressionnant d’ici que vu d’en bas. Sa longueur me paraît interminable. Je sens que mon engagement commence à vaciller. Une difficulté à respirer, de type crise d'asthme, pointe le bout de son nez, mon cœur s’accélère, mes jambes flageolent, ma peur du vide prend le dessus.

Sans la présence de mon fils, j’aurais fait marche arrière, absolument sans aucune culpabilité !

Mais il sait trouver les mots justes.

Je prends le temps d’observer mon corps dans tous ses symptômes anxieux.

Je les accueille sans les juger. Et j’attends qu’ils se calment suffisamment pour que je puisse faire un premier pas sur la passerelle, dont les lattes en bois crissent et bougent sous mes chaussures, réactivant mon angoisse.

Mon corps est raide, mon regard se fixe au loin, je n’ose pas regarder autour de moi et encore moins en bas, dans ce gouffre qui me semble abyssal.

Je me cramponne aux barrières latérales, comme à des bouées de sauvetage. Mon envie serait d’avancer le plus rapidement possible pour arriver très vite de l’autre côté, mais Mathieu m’incite à me confronter instant après instant à cette panique intérieure, en avançant au contraire très lentement pour accueillir, et petit à petit apprivoiser, ces sensations désagréables.

« Maman, tu es là pour vaincre ta peur, pour devenir libre. »

J’arrive à lâcher une première main. Je sais que ma sécurité est à trouver à l’intérieur de moi et non dans des aides extérieures.

A ce moment, nous sommes à peu près à mi-parcours. Nous entrons dans une zone où je vois des fleurs accrochées au garde-corps, en tournant un peu mes yeux, je vois des plaques commémoratives avec des noms inscrits dessus.

Et soudain je comprends que c’est pour honorer la mémoire de personnes qui sont venues ici se suicider. J’éclate en sanglots en ressentant toute cette détresse qui a poussé au saut fatal. Comment peut-on en avoir tellement marre de vivre qu’on ose venir ici enjamber ce parapet de la mort ?

Je me relie à toutes ces âmes et leur envoie des prières d’amour et de compassion, tout en ressentant profondément que tout est parfaitement juste.

Les larmes séchées, je reprends mon propre cheminement.

Cette fois, toujours accompagnée par les encouragements de Mathieu, je sens la possibilité de regarder en bas et sur les côtés.

Je me laisse pénétrer par la beauté du site et la vue imprenable.



Je parviens même à effectuer les derniers mètres en lâchant les 2 mains.

Je suis accueillie par les applaudissements de randonneurs passés avant nous (dont l’un a manifesté une peur du vide semblable à la mienne) et qui ont assisté à ce que je vis comme mon exploit !

Mon corps se décontracte enfin complètement. Nous nous posons et buvons un thé chaud qui vient achever le relâchement.


Confirmer la traversée de la peur du vide

Il est possible de poursuivre la randonnée en formant une boucle qui nous ramène à notre point de départ et c’est l’option que je choisis. Mais c’est sans compter avec la détermination de Mathieu qui me propose au contraire, de retraverser la passerelle dans l’autre sens pour ancrer ma nouvelle liberté.

Cette fois, sans me tenir, du début à la fin.

Comment vous dire qu’une « légère » contraction naît instantanément en moi ! Mais au fond, je sais qu’il a raison, que je peux et je veux le réaliser.

Nous voici donc repartis sur les traces de Farinet, le Robin des Bois suisse, qui a trouvé la mort dans ce ravin et à qui cette passerelle est dédiée.

Je parviens cette fois à cheminer plus tranquillement, même si je marche encore en écartant un peu les jambes pour plus de stabilité. Je réussis même, suite à la proposition de Mathieu qui pousse le bouchon toujours plus loin, à tourner sur moi-même. Un jour je danserai peut-être !?

En arrivant de l’autre côté, je suis récompensée par la magnifique colombe de la paix de l’artiste suisse Hans Erni, accrochée à la montagne, que nous n’avions pas vue à l’aller !




Je suis tellement fière de moi et tellement reconnaissante envers Mathieu, dont les paroles soutenantes m’ont permis de mener à bien mon challenge.

Il y a quelques mois, j’avais travaillé en thérapie EMDR sur ma peur du vide. J’avais alors pris conscience combien cette peur du vide était en réalité une peur de la mort et combien cette dernière cachait en vérité une peur de vivre.

Aujourd’hui, cette aventure m’a permis d’incarner une nouvelle vibration de liberté dans mon corps.


Vaincre - dépasser- traverser une peur :

quelle différence ?

Après cette aventure, j’ai repensé aux mots qu’on utilise quand on choisit de se confronter à une peur.


Vaincre

Derrière « vaincre », je ressens une idée de lutte. Il s’agit d’une sorte de duel engagé entre le mental, rationnel (il n’y a aucune raison objective d’avoir peur, la passerelle est bien accrochée, des milliers de personnes sont déjà passées au-dessus, etc.) et l’émotion, irrationnelle. De cette bagarre, le mental doit sortir gagnant et me permettre, par la force de ma volonté, d’aller au-delà de ma peur pour pouvoir dire que j’ai réussi à la dominer. Il s’agit ici de la juguler, de la maîtriser, voire de la ligoter pour l’empêcher de s’exprimer en me paralysant.

A-t-elle disparu pour autant ? De mon point de vue, non.

La peur est toujours là, tapie dans l’ombre, et ressurgira dans toutes les situations qui la réactiveront. Le combat devra alors recommencer pour la contenir à nouveau.

Dépasser

« Dépasser », me fait penser à ce qui se passe quand un obstacle se trouve sur mon chemin.

En voiture par exemple, pour dépasser une voiture gênante, je mets mon clignotant et je la contourne. Pareil, si un piéton marche devant moi sur un trottoir, je l’évite pour pouvoir continuer sereinement ma route.

Donc, quand on parle de dépasser une peur, on va trouver un moyen de l’esquiver.

A-t-elle disparu pour autant ? De mon point de vue, non.

Elle est derrière moi certes, et ne m'empêche plus d'avancer, mais si je me retourne et entreprends de repartir dans l'autre sens, je la rencontre à nouveau.

Traverser

Ici j’entends, « passer à travers ». Comme si j’écartais des voiles pour aller rencontrer ce qu’il y a de l’autre côté. Ou comme si j’osais fendre une cascade pour découvrir sa face cachée. Ça me fait aussi penser au train fantôme quand on déchire les toiles d’araignées tendues devant nous pour continuer d’avancer. Dans tous les cas, les éléments nous frôlent, offrent une résistance, il y a un contact physique. On les transperce.

Si j’avais marché sur la passerelle le plus vite possible en fermant les yeux, ou en regardant fixement l’arrivée de l’autre côté ou encore en m’accrochant au sac à dos de Mathieu, (comme j’ai vu une dame le faire avec son mari), j’aurais vaincu ma peur du vide. Si j’avais ensuite continué la randonnée en boucle, j’aurais pu dire à la fin de la journée que j’avais dépassé ma peur.

En prenant le temps de rester sur la passerelle, en observant ma peur, en ressentant où elle s’installait dans mon corps, en décrivant les symptômes qu’elle me faisait vivre, en accueillant les émotions qui surgissaient, en osant bouger la tête et regarder en bas et sur les côtés, en franchissant une seconde fois le pont suspendu en lâchant les mains, je peux dire que j’ai traversé ma peur, physiquement. Et en la traversant ainsi, j’ai la sensation qu’elle s’est désagrégée, comme réduite en poussière.

Est-ce vraiment le cas ?

Je ne pourrai le savoir qu’en expérimentant à nouveau une situation semblable.

Et vous savez quoi ? La vie, facétieuse, me l’a proposé 2 jours plus tard !

Cette aventure m’a fait comprendre que pour éliminer une peur, la vaincre ou la dépasser ne suffit pas. C’est une première étape peut-être. Mais tant que je ne ne l’ai pas traversée, elle reste présente en moi. Et c’est ok. C’est un cheminement qui prend le temps dont il a besoin. L’essentiel pour moi est de le vivre en conscience et sans jugement.

Mon prochain défi ? Un vol en parapente biplace avec mon fils Fabien !






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